Tempête
Il faisait chaud. Très chaud.
De temps à autre une brise légère venait rider l’eau et rafraîchir l’atmosphère.
Puis la chaleur reprenait ses droits. Infernale.
Pas un nuage dans le ciel méditerranéen.
L’esquif allait au gré du courant.Pas de capitaine sur cette embarcation. Juste des passagers. Trois.
L’un tout rouge, semblait dormir. Quant aux deux autres, ils allaient et venaient sans arrêt, faisant le tour de l’esquif, contournant le passager endormi. De temps en temps, ils se penchaient sur l’eau, comme pour vérifier qu’elle était toujours là.
Aucune ombre sur le radeau. Pas de rame. Pas de gouvernail. Ni même une voile.
La légère brise le baladait à sa guise.
Tout à coup, le ciel s’assombrit. Un léger remous, puis des vaguelettes. Le petit bateau commençait à tanguer.
Un hurlement épouvantable. Des vagues de plus en plus grosses se mirent à soulever l’embarcation.
La passager endormi n’avait pas bougé. Quant aux deux autres, ils s’étaient immobilisés. Serrés l’un contre l’autre. L’eau les secouait, essayait de les arracher à leur refuge, mais ils tenaient bon.
Puis l’accalmie. Brutale.
Pas un seul de nos trois aventuriers ne bougeait, traumatisés sans doute, par la tempête.
Le soleil inonda à nouveau l’étendue d’eau qui se mit à scintiller. Aveuglante.
Un moment passa.
Rassurés certainement par la tranquillité revenue, deux des globes trotteurs, toujours les mêmes, se remirent en mouvement . Ils reprirent leur curieux manège, parcourant inlassablement le radeau.
Vus du ciel, on les voyait tâtonner, trottiner, petites silhouettes brunes semblant sonder le fond de leur embarcation.
En examinant leurs mouvements de plus près, on pouvait observer qu’ils suivaient les bords de leur bateau de fortune en tapotant l’eau régulièrement.
L’observateur pouvait imaginer qu’ils souhaitaient quitter leur prison flottante, mais n’osaient pas se voyant entourés de cette masse d’eau.
Qui l’eut osé ?
D’autres petites embarcation, vides de passagers celles-là, virevoltaient autour du radeau. De temps à autre, l’une d’entre elles venait heurter doucement notre esquif, le déviant de sa trajectoire. Il se mettait à tournoyer lentement, puis reprenait son lent ballet monotone sous le soleil d’été.
L’ombre à nouveau. Le hurlement annonçant la tempête. Les remous. L’embarcation maltraitée qui résistait malgré tout au roulis.
Notre dormeur ne bougeait toujours pas. S’il n’avait été si bien accroché à son radeau, on aurait pu le croire mort. Les deux autres aussi s’accrochaient. Un tourbillon monstrueux tentait d’avaler le frêle esquif.En vain. Le bateau tanguait dangereusement, semblant par moment prêt à se retourner, mais on ne sait par quel miracle, il ne chavirait pas.
-Nicolas !
L’ombre disparut subitement, et le calme revint lentement sur l’onde. Les vagues se transformèrent en ondulations, les ondulations en frissons. Puis, plus rien. L’eau redevint paisible. Le hurlement cessa.
Seules quelques bulles qui remontaient à la surface, pouvaient attester de la violence du coup de tabac.
– Tu as fini d’hurler comme ça, on t’entend dans tout le village !
La voix se rapprocha.
– Oh, mais tu es tout trempé ! Combien de fois t’ai-je dit de ne pas jouer avec cette bassine ! Tu n’en fais qu’à ta tête !
Une ombre immense masqua à nouveau le soleil.
La coccinelle s’envola, laissant la feuille morte avec ses deux passagers restants suivre l’eau qui descendait en cascade.
Une fois leur radeau de fortune échoué sur une taupinière, les deux fourmis purent enfin rejoindre la terre ferme.
La voix s’éloignait.
– Et voilà… j’ai vidé l’eau… comme ça tu ne viendras plus y jouer !