Ronde de nuit

La petite pleurait. Toutes les larmes de son corps.Silencieusement. Elle s’était assise sur un tronc d’arbre. Son petit corps tressautait sous les sanglots. Elle était terrifiée. Il faisait nuit noire à présent.

Au fur et à mesure que la nuit tombait, ses cris s’étaient transformés en plaintes, puis en gémissements, pour enfin se taire totalement. Elle n’osait plus faire aucun bruit.

Les arbres l’entouraient , silhouettes menaçantes dont les branches tordues qui se balançaient au rythme du vent, semblaient la montrer du doigt.

Une chouette passa lentement, rasant les arbres en lançant son cri sinistre.

La petite sursauta. Ses sanglots silencieux s’arrêtèrent pendant quelques secondes, pour reprendre de plus belle.

Son maquillage avait coulé. Son chapeau de sorcière était de travers . Elle ne se souvenait plus à quel moment elle avait lâché la main de sa sœur. Ni pourquoi… Ils faisaient le tour des maisons du village, frappant à toutes les portes, quémandant des bonbons, se bousculant, riant…

Puis elle s’était retrouvée seule. Le jour déclinait lentement. Le groupe d’enfants était plus loin. Elle avait voulu les rattraper, quand un corbeau s’était posé près d’elle. Étonnée, elle avait regardé l’animal.

Il la fixait d’un regard bleuté. Il avait ouvert grand ses ailes et s’était envolé. Elle s’était sentie aspirée et s’était retrouvée au milieu des bois. Seule. Entourée de volutes de brouillard. Puis la nuit était tombée.

Soudain elle retint sa respiration. Il lui semblait entendre des chuchotis. Une silhouette transparente s’avança vers elle, suivie d’une autre plus petite. Une troisième apparut.

Bouche bée, la petite fixait les apparitions qui maintenant l’entouraient.

Elle sentit que quelqu’un lui prenait la main.

– Que vois-je ? Une petite fille toute seule ? Abandonnée dans les bois ? Viens avec nous, petite. Nous allons danser, chanter… tu verras… nous allons bien nous amuser… n’aie pas peur… cette nuit, est une nuit spéciale…

La voix était bizarre, mais les paroles réconfortantes. Mélina se sentit mieux. Quelqu’un attrapa son autre main.

La fillette avait beau regarder, elle n’arrivait pas à discerner les traits , ni les habits des personnes qui l’entouraient…même les mains qui la tenaient n’avaient pas de forme précise… elle voyait juste des ombres claires dans le noir, qui se mouvaient avec grâce. Les traces de leurs mouvements restaient quelques secondes dans l’air, avant de disparaître. Cela formait des rubans. C’était joli.

Des notes de musique s’élevèrent dans les airs, ressemblant à des flocons de neige des flocons de neige, rebondissant, virevoltant. La fillette les entendait, les voyait… elle ne savait plus…

Elle n’avait plus peur… Les silhouettes se mirent en mouvement, l’entraînant dans une danse endiablée… ses jambes se mirent à danser toutes seules… Mélina riait. Elle n’avait plus peur du tout.

Bientôt la farandole quitta les bois. Mélina reconnut son village, son école, sa maison… Ils étaient nombreux à danser… des centaines d’ombres lumineuses qui sautaient, formant une écharpe légère tel un voile de brume autour des habitations.

Bientôt, tout le monde se mit à sauter de plus en plus haut et à chanter en formant une ronde.

Maintenant qu’elle entendait les paroles, la petite se rappelait cette chanson ; c’était une sardane que chantait sa grand-mère.

La ronde s’élevait au-dessus du village maintenant et, chose curieuse, Mélina pouvait voir ses compagnons de danse. Une petite fille plus jeune qu’elle, lui tenait la main. Plus loin, un vieux monsieur soufflait dans un instrument. Une vieille dame riait en effectuant les pas de danse. Curieuse, la petite tourna la tête vers la personne qui tenait son autre main. Mélina fut agréablement surprise de constater qu’elle connaissait cette dame… C’était une femme … qui avait disparu des rues du village, depuis quelques mois…

Un couple s’avança pour rejoindre la ronde. Ils semblaient glisser dans les airs. La petite n’en croyait pas ses yeux. Ses parents étaient là. En pyjama. Ils se mirent à danser, un grand sourire aux lèvres.

La petite voulut leur faire un signe, mais ses voisines étaient accrochées à ses mains, et elle ne put dégager… de toute façon, ils semblaient ne pas la voir. Mélina avait croisé leurs regards vides à plusieurs reprises, sans qu’aucune lueur de reconnaissance ne les animent.

En regardant mieux les danseurs, la fillette pouvait voir qu’il y avait des gens habillés et des gens en tenue de nuit. Curieusement, elle croyait reconnaître toutes les personnes en tenue de nuit… Celle-ci dansaient, un sourire béat aux lèvres, le regard dans le vague… En fait… peut-être que ces personnes ressemblaient à des gens du village… ça ne pouvait pas être elles… son institutrice ne serait jamais sortie en petite tenue dans la rue… ni Madame Gaultier… ni… aucun des habitants du village d’ailleurs… Et cette expression sur leur visage… non, ça ne pouvait pas être eux… D’ailleurs, personne ne semblait la reconnaître.

– Je te vois ! La petite fille à sa droite la regardait d’un air malicieux.

Moi aussi ! Répondit Mélina sur le même ton.

… Mais toi, tu es mortes, reprit la fillette malicieuse.

Ce n’est pas drôle, répliqua Mélina.

Tu es morte, tu es morte… mais tu ne le sais pas…

Ne dis pas ça ! Je ne suis pas morte… et d’ailleurs, je parle… et je danse…

La fillette éclata de rire. Ça ne veut rien dire… regarde autour de toi… il y a les morts… et les endormis… toi, tu n’es pas endormie… donc tu es morte…

Mélina commençait à se sentir mal à l’aise. Cette fillette était étrange. Puis elle éclata de rire. C’était la nuit d’Halloween… Cette enfant voulait lui faire peur. Elle se pencha vers elle, et lui glissa doucement à l’oreille, -En fait, c’est toi qui est morte, mais tu ne le sais pas…

Des larmes commencèrent à couler sur le visage de l’enfant. Mélina désolée essaya de se rattraper. – Je plaisantais, tu sais. Tu n’es pas morte, et moi non plus.

Si… je crois que je suis morte… mais je n’en suis pas… sûre… La petite hoquetait.

Mélina ne savait plus quoi dire. La danse continuait. Pas moyen de s’en extraire… Elle devait danser. Elle n’avait pas le choix.

Elle se pencha à nouveau vers la fillette en pleur . – Tu sais quoi ? On ne va plus se lâcher la main, comme ça on sera ensemble, même si on est morte… Mélina jeta un regard inquiet autour d’elle. Elle dut reconnaître que la petite pouvait avoir raison ; les personnes en tenue de nuit n’avaient pas l’air très réveillées… ces gestes mécaniques, ce regard flou qui ne semblait rien voir… En revanche, les autres danseurs, semblaient bien conscients de ce qu’il vivaient… de temps en temps, elle croisait leurs regards. Certains lui faisaient des petits signes… tous avaient l’air de bien s’amuser.

Elle prit une grande respiration avant d’ajouter d’un air beaucoup plus convaincu qu’elle ne l’était réellement – Je ne suis pas morte… et toi non plus… nous sommes juste là pour nous amuser avec… avec eux… même s’ils sont morts…

Elle se remémora ce que lui avait confié sa grand-mère à propos de cette période de l’année. La vieille dame lui avait expliqué qu’à ces moments là, la porte qui séparait le monde des vivants et celui des morts s’ouvrait et qu’il était facile de voyager entre ces deux mondes…

Mélina avait écouté cette histoire comme elle écoutait les autres récits de sa grand-mère, sans y croire vraiment…

A ce moment, une joyeuse cohue de sorcières, de morts vivants, de squelettes arriva dans une farandole folle, séparant les danseurs, cassant la ronde. Ils riaient, criaient, chantaient. Mélina reconnut les enfants du village dont elle avait été séparée quelques temps plus tôt. Puis elle vit sa sœur qui arrivait droit sur elle. – Te voilà, enfin, je t’ai cherché partout !

La cadette répliqua qu’elle avait plutôt l’air de s’amuser pour quelqu’un qui avait perdu sa sœur. La grande prit d’autorité la main de Mélina sans répondre.

La jeune sœur serra fort la main de sa petite voisine qui maintenant ne pleurait plus et avait même retrouvé le sourire.

– Juliette… Mélina jeta un regard interrogateur vers sa protégée… je m’appelle Juliette continua cella-ci…

Bientôt, le monde autour de Mélina se fractionna, se morcela… seuls restaient les enfants qui dansaient… seuls restaient la main de sa sœur et la main de … Juliette ! La fillette regarda autour d’elle. Juliette avait disparu …

Mélina avait beau chercher, la fillette s’était volatilisée… Les danseurs aussi… On n’entendait plus la musique.

Un à un, les enfants s’arrêtèrent de danser. Les plus jeunes se frottaient les yeux. Les plus vieux chuchotaient encore, à la recherche de quelques farces à faire. Minuit avait sonné depuis longtemps. Curieusement, toutes les lumières du village étaient éteintes. Aucune lueur aux fenêtres des maisons. Aucun lampadaire allumé. Seule la lune ronde éclairait la place du village où les enfants s’étaient rassemblés. Bientôt les grands cessèrent de chuchoter. Un silence étrange régnait maintenant. Chacun regagna sa maison en frissonnant.

Mélina désemparée, avait suivi sa sœur comme une automate. En passant devant la cheminée, elle poussa un petit cri de stupeur. Juliette lui souriait. La photo, en première page du journal, montrait la petite fille en robe d’été, une énorme glace à la main, qui souriait à l’objectif. Juliette, cinq ans, toujours dans le coma, trois mois après son accident…

Mélina demanda à sa sœur de lui lire la légende. De la lui relire. De la lui expliquer…

Puis, ignorant son aînée qui l’appelait, elle courut, ouvrit la porte d’entré, et murmura – Juliette, écoute moi. Je sais que tu m’entends. Tu n’es pas morte… Tu peux choisir de te réveiller… C’est toi qui choisis… Tu m’entends ? C’est toi qui décides…

Un petit rire cristallin s’éleva dans la nuit… à moins que ce ne soit une chouette…

Un baiser sur sa joue… à moins que ce ne soit le vent…

Mélina referma doucement la porte, et rejoignit sa sœur.

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