Et s’il n’existait pas?

J’ai été élevée dans la croyance de ne croire en rien qui ne soit matériel.

Le père noël n’a jamais existé pour moi. On faisait un sapin à la va-vite, un repas souvent triste lorsque nous étions seuls avec ma mère, parfois tendu lorsque nous le partagions avec mes grand-parents qui ne s’entendaient pas avec ma mère , et le cadeau donné sans cérémonie.

Pâques. Une ou deux fois, un bel œuf caché dans le jardin de mes grands parents, sous le regard réprobateur de ces derniers, qui voyaient là de l’argent gâché. Plus souvent une plaquette de chocolat donnée de la main à la main, lorsque nous étions seuls en vacances dans la maison bretonne de nos aïeux… – du chocolat, c’est du chocolat… et à quoi bon le cacher ? Il sera mangé de toute façon…

Lorsque nous étions à la maison avec notre mère, on achetait le chocolat et on le mangeait aussitôt. Sans cérémonie.

La Toussaint. Des vacances tristes, pluvieuses. Les chrysanthèmes vendus près des cimetières. Nous n’avions pas de morts à célébrer… pas de passé… peu de famille… si peu de racines…

La religion. De belles histoires pour les gens crédules qui voulaient croire qu’ils étaient plus qu’un corps physique… une prison en fait.

Je me souviens du sentiment de supériorité qui me saisissait lorsque j’entendais une camarade de classe qui croyait que le père noël existait. Je savais que le gros bonhomme en rouge n’amenait pas les cadeaux. Que c’était les parents…Pour moi, le père noël c’était ce personnage mal déguisé qui vous alpaguait à l’entrée des Galeries Lafayette, et qui me mettait mal à l’aise.

Noël, c’était aussi l’étage jouets de ces fameuses Galeries, où l’on pouvait admirer des jouets que l’on aurait jamais ; d’interminables trains électriques, des poupées qui marchaient toutes seules et qui parlaient aussi… Je me souviens d’une année où un jeune homme chantait des chants de noël. Il s’appelait Roméo.

Une certaine magie régnait dans ce magasin. Tout brillait. Scintillait… j’adorais y aller. C’était la seule magie qu’on m’autorisait à ressentir. La magie de la technologie. La société de consommation commençait à pointer son nez. C’est assez ironique, si l’on pense que mes parents étaient des communistes convaincus, à cette époque.

Je suis certaine que j’aurai adoré croire au père noël. Un beau sapin fait avec plaisir. Une maison décorée pour l’occasion. Un bon repas de noël. Et la magie de l’attente…

Je lisais énormément de contes de fée, j’écoutais Henri Gougaud sur France Inter le dimanche qui racontait des histoires étranges. Je me souviens avoir souhaité ardemment que la vie soit pleine de magie avec des sorciers, des fées, des potions et des baguettes magiques. Par moment, je regrettais que notre monde soit coincé dans le matériel, d’autant plus qu’il fallait de l’argent pour vivre certaines expériences que je rêvais de vivre, et que nous n’avions pas d’argent… d’ailleurs l’argent c’était quelque chose de sale, qui pourrissait le monde… Je vous rappelle que je vivais dans une famille communiste…

La technologie qui améliorera la vie de l’homme, la voie de la science qui n’admet que ce qu’elle peut expliquer et rendra l’humain plus intelligent, les révolutions qui aideront certains hommes (les bons) à prendre le pouvoir… sur d’autres hommes (les méchants)… Voici les trois fées qui se sont penchées sur mon berceau.

Heureusement, il nous restait la magie de l’enfance. Nous nous évadions. Nous nous inventions des histoires avec mon frère et ma sœur… des histoires très terre à terre, lorsque j’y pense.

Il y en avait une dans laquelle, nous étions les enfants du « président du monde ». Nous faisions des voyages interminables, vivions des expériences extraordinaire, nous avions le pouvoir et l’argent. Nous étions à l’abri des injustices. D’après mes souvenirs, cette histoire se passait souvent sur un navire. Nous étions en croisière. Cela pouvait durer plusieurs jours. Nous allions à l’école la journée et à peine rentrés dans notre appartement, nous étions à nouveau sur un bateau. Nous voyions à peine notre mère qui rentrait du travail. Nous étions dans un état second. La réalité n’avait plus de prise sur nous.

Je me souviens que je m’endormais, bercée par les roulis du bateau…

On jouait aussi très souvent à « Moujik ». Nos parent étaient allés en Russie et nous avaient ramené à chacun entre autre, un Moujik ( paysan russe). C’était une poupée en chiffon de quinze centimètres environ, avec les mains, les pieds et la tête en plastique. Un petit bonnet de laine blanc coiffait sa tête.

J’imagine, que le pauvre bonhomme est resté un moment à prendre la poussière sur une étagère, avant de devenir le héros d’une de nos histoires favorites. Nous inventions des scénarios que nous mettions en scène. C’était un personnage un peu bête (pardon aux paysans russes), à qui il n’arrivait que des déboires. Il y avait des interactions entre les moujiks, puisqu’on avait chacun le notre… J’ai le souvenir qu’on riait tellement à certains moments, qu’on se tordait de rire par terre.

Il y avait d’autres jeux qui nous libéraient d’un quotidien un peu triste, mais j’ai l’impression qu’on ne s’autorisait pas à franchir le pas qui nous aurait mené dans un monde de magie. Dans nos jeux, aucune lampe magique, aucune licorne ou autre animal fabuleux, aucun monstre… nous restions ancrés à une réalité qui ne nous satisfaisait pas vraiment… Nous la rendions juste plus agréable à vivre pour nous…

Heureusement la fée Imagination s’était penchée sur notre berceau et nous permettait de vivre quelques heures, quelques jours parfois, hors du temps…nul besoin de baguette magique pour ça…

Je me dis que peut-être nous accédions à d’autres dimensions plus légères… plus lumineuse… peut-être…

En tout cas, je suis certaine qu’enfant j’aurai adoré pouvoir dire : – Et si le père noël n’existait pas ?

Aujourd’hui, quelques décennies plus tard, je sais que le Père Noël existe, que les fées et les sorcières vivent parmi nous, que la vie est pleine de magie pour qui veut le voir, que chacun d’entre nous possède une baguette magique… invisible…

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